Pfiou, que c'est dur en ce moment...

... Mais aujourd'hui, j'ai appris la signification ( même si elle m'avait déjà éclairé légèrement sur la question au cours d'un court et brinquebalant voyage en tro-mé ) du pseudo blogosphérique de Fressine, et ça m'a mise en joie ( le coup de la décolo, je suis sur le cul... enfin j'ai du mal à visualiser, quoi ). Du coup, je vous conte mes nouvelles aventures.

Je donne des cours dans une grosse boîte pour enfants de famille riches qui ont du mal à l'école. Un truc genre que y'a des pubs pour eux dans l'métro, tu vois.

Et là, ça fait un moment que j'me dis que faut que j'vous raconte les aventures de Gladys*. Gladys est jeune, Gladys est mignonne, elle est en 1ère sauce technique et je lui donne des cours de français, d'abord parce que si on la pousse pas, elle en a rien à carrer du français, et qu'en vue du bac de français, ses parents se sont dit que ça serait bien quand même de.. de s'occuper d'elle, quoi.

Le fait qu'elle soit une bille en français, qu'elle ne fasse pas la différence entre Poe et Louise Labé, ou entre Cendrars et La Bruyère ( que t'façon, elle connaît aucun de ceux-là, ni même d'autres ), encore... passe encore, je peux forcer personne.

Mais là où elle me fait marrer, c'est qu'elle sort des trucs énormes.. et que j'me souvenais pas que j'étais si cruche à 17 ans ( non, non, d'ailleurs, je confirme, je ne pouvais pas être si cruche à 17 ans ).

Le premier signe de balourdise extrême de Gladys pointa son nez à la fin d'un cours un soir d"hiver, quand elle me demanda l'air de rien si je pensais que "l'amour ça pouvait durer toujours". Je cherchais à faire le lien avec le cours, mais bon, on avait fait du Baudelaire, et c'est pas le plus grand amoureux que la terre ait porté.

J'voyais plutôt qu'elle avait envie de parler et comme elle doit me voir comme une "grande", elle s'est dit que j'allais pouvoir lui parler d'expérience. Mais là, elle avait tapé le mauvais sujet...

Elle me parla avec enthousiasme de son chéri, un dénommé Louis* avec qui elle "sort" apparemment depuis assez longtemps... genre un an. Que elle le voit toutes les semaines, mais pas autant qu'avant, parce qu'elle a déménagé et donc changé de bahut cette année. Que elle d'abord elle pense que l'amour ça peut durer toujours et que c'est possible parce qu'elle aime trop son Loulou et qu'elle voit pas comment elle pourrait arrêter.

Comment te dire, ma chérie.. avais-je envie de lui dire, tiraillée entre ma bonne vieille expérience qui fait que je viens juste de me séparer du premier homme que j'ai considéré comme pouvant être "the one", et la compassion qui me ferait ne pas définitivement péter les illusions d'une pauvre gamine de 17 ans, qui ne m'a rien fait de surcroît.

J'ai tenté avec tout mon tact légendaire de lui expliquer que les gens évoluaient dans des directions différentes, que l'on pouvait rencontrer d'autres gens ( ce à quoi elle opposait de vifs arguments tels que "ah ben non, hein, nous on restera toujours ensemble" avec l'accent adolescent ), que le quotidien des chaussettes sales et des assiettes froides pouvaient ruiner le moral et lui faire apparaître son choupinet comme un affreux glandu qu'il est...

Elle tenta de me rassurer en me disant que son chéri était parfait, que d'ailleurs son père avait une entreprise de déménagement ( sic ) et que même s'il faisait pas de grandes études, il reprendrait l'affaire de Papa et qu'elle se voyait déjà super bien dans le rôle de la secrétaire, le bureau au fond à gauche. Le tout avec un ton et des yeux de Bambi tellement enthousiastes.. ça m'a brisé le coeur ( allez savoir si c'est devant le pathétique de la vision de mon élève en secrétaire d'un époux miteux, ou devant les fols espoirs de la donzelle que j'avais envie de tacler - les espoirs, pas la donzelle ).

Il sembla de toute façon que la question n'était que rhétorique puisqu'elle avait les réponses toutes trouvées à tous les arguments que je pouvais lui opposer. Je terminais en lui souhaitant "tout le bonheur du monde", comme dirait l'autre rasta.

Mais ce soir, elle m'en a fait une tellement belle que je ne peux pas manquer de vous la retranscrire dans mon vocabulaire si châtié.

Ce soir, on faisait l'avant-propos "Au lecteur" des Essais de Montaigne. Mis à part qu'elle aurait pu le rendre contemporain de Victor Hugo en deux coups d'cuiller à pot, rien de bien grave. Je lui fais un topo historique genre qui c'est, qu'est-ce qu'il a écrit et tout et tout.

Le texte introduit le pavé, et prévient le lecteur que l'auteur n'a pas fait ça pour lui, mais pour son entourage, pour qu'ils se souviennent de lui après sa mort.

Je vois l'oeil adolescent à côté de moi s'illuminer ( alors que jusque là, que dalle, hein, la vie et l'oeuvre de Montaigne, rien à péter ) quand elle s'écrit : "C'est comme mon grand-père !!!" Oui, vazidonc, raconte-moi ça... L'espoir me vint deux secondes durant qu'elle avait pu avoir un grand-papa érudit, qui aurait écrit une chronique familiale, un truc classe... Je vis dans l'monde des Bisounours, ma parole.

"Eh ben, mon grand-père il fait des bateaux dans des bouteilles. ( Stupéfaction + retenue du professeur aux aguets ) Il en a fait un pour chacun de ses petits-enfants, mais il veut pas qu'on les voit tout de suite ( Liquéfaction + sourire crispé sur visage du professeur ). Il dit qu'on les aura quand il mourra, comme ça, on se souviendra de lui quand on les regardera !!" Enorme crispation de moi-même qui m'entend répondre "Ah ben oui, exactement pareil" tout en écrasant une larme littéraire sur le parquet blond.

Non, non, j'suis désolée, j'étais pas si cruche quand j'avais dix-sept ans... Et je ne laisserai pas ma gamine l'être autant ! Une bonne claque et au lit avec l'intégrale de Jean-Paul ( Sartre, pas II ).

Allez, j'vous préviens si Gladys nous en repond, des comme ça...


* Le prénom a été modifiée pour des raisons de sécurité ( j'tiens à ma place, dis ).

Comments

[Fressine]

Ben je te propose de lui apprendre ce que c'est une fressinette, c'est un truc pratique, utile dans la vie de tous les jours, ça risque de lui parler un max !! ;-)